Non, pas de panique, dans les bananes
"Je méconnais les règles de la physique médiatique, mais assurément
elles existent. Comment expliquer sinon que certaines nouvelles pèsent
des tonnes et d’autres moins qu’une plume ? Pourquoi un tel déchaînement des rédactions sur "la crise des lasagnes de
cheval" et à peine un bruissement sur le dossier du
chlordécone ?
"Chlordé… quoi ?" Chlordécone.
Une molécule contenue dans le pesticide pulvérisé sur les plants de
banane en Guadeloupe et Martinique des années durant empoisonnant ainsi
la terre, un des plus grands scandales
environnementaux de ces dernières années qui malgré les efforts
inlassables des lanceurs d’alerte, n’a pas encore entraîné de réponse
de la part des pouvoirs publics.
Il appartient aux tout premiers insecticides
mis sur le marché, comme le DDT ou le lindane. Très vite, leur nocivité
est avérée. En 1976, les Etats-Unis l'interdisent et en 1979 l’OMS le déclare "possiblement cancérogène pour l’homme et perturbateur endocrinien". Mais voilà : suite à des cyclones qui causèrent d’importants dégâts
pour les bananeraies des Antilles, les planteurs en réclament pour lutter contre le charançon et en 1981, le ministère de l’Agriculture accède à leur demande. La
société Laurent de Laguarigue, grosse plantation béké
rachète le brevet. La pollution peut continuer. Des études accablantes [PDF] conduisent cependant le gouvernement à en interdire l’utilisation en1990. Mais comme, visiblement la liberté de polluer est inscrite dans la
déclaration des droits de l’homme et du béké, les planteurs obtiendront
encore deux dérogations pour l’utiliser jusqu’en 1993.. avec des conséquences graves. Entre 1973 et 1993, son utilisation a entraîné la
contamination des sols, des récoltes et des nappes phréatiques. La
partie de la population qui cultive ses propres légumes n’est pas
épargnée, et les expositions persisteront pendant plusieurs siècles. Le
fait d’y avoir été exposé est associé à un risque augmenté de
cancer de la prostate, cf l'article publié dans la revue Journal of Clinical Oncology. L’Inserm et l’Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail (Irset) qui a suivi avec le CHU de Pointe-à-Pitre 1 042 femmes et leurs enfants depuis la grossesse a
mis évidence "une association significative" entre l’exposition
prénatale au chlordécone et une baisse de la mémoire visuelle et de la
motricité fine des enfants observés c'est à dire un retard de développement. Quel parent accepterait
tranquillement une telle révélation ?
Qu’on me pardonne alors la question mais elle mérite
d’être posée tant on a parfois l’impression, que, éloignées des yeux du
législateur, Guadeloupe et Martinique sont tenues en lisière des droits
les plus élémentaires. Sera-t-il nécessaire pour enfin attirer l’attention de l’opinion et
des pouvoirs publics sur la situation environnementale et sanitaire de
la Guadeloupe et de la Martinique, de mettre du chlordécone dans les
lasagnes ?"
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